Discours par Dr. Thomas Borer auprès le Symposium de Prévoyance sur la situation géopolitique et le rôle de la Suisse dans ce context auprès le Symposium de Prévoyance à Lausanne le 16 Mai 2019:
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d’être invité à ce symposium de prévoyance et de parler sur une thématique quelque peu différente des autres présentations. Mais quand-même plusieurs de ces développements ont des conséquences pour les assurances, pour tout le monde. Je voudrais parler sur la situation géopolitique et le rôle de la Suisse dans ce cadre.
Effectivement il y a beaucoup de crises en ce moment et l’environnement mondial est aujourd’hui plus complexe qu’à aucun autre moment depuis la fin de la guerre froide. Moi, j’ai grandi dans le temps de la Guerre Froide – une stabilité dangereuse – mais le monde était relativement stable et prévisible.
Aujourd’hui notre monde est en pleine transformation. Il y a des déplacements géopolitiques et on sait bien de la tectonique de la terre : quand les plaques tectoniques se déplacent, il y a des tremblements de terre, des catastrophes naturelles, des volcans et des tsunamis. Et c’est ce qui se passe en ce moment dans les sphères de la politique et économie mondiale. Le soi-disant ordre mondial libéral – les institutions, les alliances, les arrangements économiques et les valeurs démocratiques qui ont servi de fondement au système de l’après-guerre – est menacé sur tous les fronts.
En faisant référence à l’incendie de Notre-Dame de Paris on pourrait même demander si la civilisation occidentale est en feu. Et même Trump dans sa petite voiture des pompiers ni avec ses citernes d’eau volants ne peut pas aider.
En fait, la situation mondiale géopolitique représente un véritable défi. Il y a des tremblements de terre politique et économique partout. Entre autres :
- L’isolationnisme des États-Unis
- L’ascension de la Chine vers une superpuissance avec des aspirations mondiales
- Nouvelle Guerre Froide entre la Russie et le monde occidental
- La prolifération des armes nucléaires
- Le terrorisme et des véritables guerres de religion
- Le changement climatique et des événements climatiques extrêmes
- Populisme et la polarisation politique
- L’intelligence artificielle et la disruption technologique
- Cyberattaques et les campagnes de désinformation
- La migration involontaire
- Une récession économique peut-être plus dure que celle de 2008
Ensuite je voudrais aborder quelques-unes de ces défis.
Europe
Commençons avec Europe : L’union européenne doit faire face à des grands défis. Brexit, L’Italie, les régime illibéraux en Hongrie et Pologne, la différence de bien-être entre l’ouest est l’est, la diminution en soutien dans la population. Au lieu de se concentrer sur les défis futurs, le leadership de l’Union Européenne doit courir d’un feu à l’autre : Brexit, Immigration, Italie, etc. Et même le nouveau moteur de l’intégration européenne – la France – doit maintenant se concentrer davantage sur soi-même.
Mais seulement si les pays de la UE sont solidaires et travaillent ensemble ils peuvent s’affronter à la Chine et les États-Unis.
États-Unis
Parlant des États-Unis : après 2 ans et demi, Donald Trump continue à polariser les États-Unis et ne se conforme pas aux règles traditionnelles. Juste il y a quelques jours il a réalisé un record douteux…
Il a officiellement menti publiquement plus de 10’000 fois selon le journal «Washington Post» !
Il n’est pas du tout un diplomate et il est un new-yorkais typique : rusé et grossier. C’est un choc pour l’élite politique européenne. Mais attention : il n’est pas bête, il est très difficile à prévoir.
Mais il fait partiellement ce qu’il faut et il a souvent raison : réductions d’impôts, charges en matière de sécurité, questions commerciales et la déréglementation, lutte contre les pratiques injustes chinois. Mais il fait aussi beaucoup de choses dangereuses. C’est l’éléphant proverbial dans un magasin de porcelaine.
Un des problèmes les plus urgents de la présidence de Donald Trump : des tensions géopolitiques et géoéconomiques croissantes entre les puissances mondiales. Le différend commercial entre les États-Unis et la Chine et celui entre l’Amérique et l’Europe sont que deux exemples.
Les États-Unis et la Chine
Les relations entre les États-Unis et la Chine ont souffert beaucoup dans les deux années passées. Les États-Unis sont contestée par la Chine – d’abord sur le plan économique, puis de plus en plus sur le plan politique et militaire. Quelques exemples : La route de la soie, sa place prédominante en Asie et en Afrique, et dans le domaine du commerce mondial. Le président américain se défend vigoureusement surtout avec des mesures économiques. Alors que Trump a raison dans son analyse du problème – par exemple, que la manipulation de la monnaie chinoise donne au pays un avantage injustifié dans le commerce international – l’instrument, la guerre commerciale, pourrait mettre en péril notre prospérité et notre sécurité car le commerce et la paix sont souvent considéré de corréler. La Chine est très puissante et, contrairement aux démocraties occidentales, elle pense à très long terme et de manière stratégique.
Les développements récents ont montré : Xi Jinping apparaît comme défenseur et leader du monde multipolaire et Trump comme un leader bien sûr mais lui-même plutôt bipolaire.
La Russie
Quand les superpuissances ne dominent plus absolument le monde, il y a de la place pour les autres, pour les profiteurs. Par exemple, la Russie sous Poutine en profite intelligemment malgré la faiblesse économique. La crise en Ukraine et en Syrie, les régimes populistes en Europe, les cyberattaques et les campagnes de désinformation sont justes quelques exemples comme Poutine alimente l’insécurité et l’agitation du monde.
Moyen-Orient et Afrique
Des autres ruptures tectoniques ou des feu géopolitiques on peut observer au Moyen-Orient et en Afrique. Au Soudan il subsiste une grande incertitude après le coup d’état du militaire et la destitution du gouvernement de Omar al-Bachir. En Algérie la situation est similaire : Même plusieurs semaines après la démission de l’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika, les manifestations de masse pour un véritable changement politique se poursuivent. On verra s’il y a une renaissance du soi-disant « printemps arabe ». Mais
attention : le jour après une révolution est le plus facile, parce que construire un état fonctionnant est tellement plus difficile ! et comme le Professeur Mohamedou du Graduate Institute à Genève souvent dit : « Les révolutions sont une question d’énergie, les transitions sont une question de compétences. »
Migration
Pour des centaines de millions de personnes en Afrique, dans le monde arabe, en Amérique latine, en Asie (Afghanistan, Pakistan), l’Europe et les Etats-Unis sont encore le lieu du désir. Ils veulent laisser derrière eux la guerre civile, la pauvreté et la misère. Malheureusement la loi sur les réfugiés en Europe vient du 20ème siècle et les États sont tellement concentrés sur leurs propres intérêts à court terme qu’ils ne peuvent pas s’entendre sur une réforme. Mais la migration ce n’est pas une chose temporaire.
Voici quelques chiffres :
- Syrie : 21 Mio.
- Iraq : 37 Mio.
- Afghanistan : 34 Mio.
- Algérie, Tunisie et Libye : 58 Mio.
- Érythrée : 7 Mio.
- L’ensemble de l’Afrique : 1.3 Mia. – 2 Mia. en 2050
Changement climatique
Et la plus grande crise de réfugiés du monde n’a peut-être pas encore eu lieu… le changement climatique qui est peut-être le plus grand feu géopolitique – pourrait aggraver la migration. Selon l’ONU, d’ici 2050, le nombre de réfugiés climatiques pourrait atteindre entre 150 et 300 millions d’individus.
Comme la jeune suédoise Greta Thunberg remarque correctement, il faudrait agir comme notre maison était en feu. Car c’est le cas ! En fait, dans le rapport mondial des risques du Forum économique mondial cinq des dix risques les plus grands pour le monde sont des conséquences du changement climatique. Si trop d’espèces meurent, nous n’aurons rien à manger. 86 pour cent de toutes les plantes alimentaires que nous mangeons ont besoin d’insectes pollinisateurs. Donc pas de pommes sans abeilles. Mais la biodiversité nous fournit aussi de l’air respirable. Sans plantes, il n’y a pas d’air respirable.
Et si nous intervenons dans ces cycles écologiques de telle sorte qu’ils ne fonctionnent plus, alors nous scions littéralement la branche sur laquelle nous sommes assis. Malheureusement, la politique tant au niveau intergouvernemental mais aussi au niveau national et surtout en Suisse ne font pas suffisant pour résoudre la plus grande menace pour notre planète – comme disait Stephen Hawking.
L’Économie
Cette situation géopolitique mondiale est renforcée par le refroidissement de l’économie. La Banque mondiale vient d’abaisser ses prévisions de croissance pour cette année à moins de trois pour cent. Dans le même temps, la montagne de la dette mondiale a atteint 225 % de la production économique mondiale. La marge de manœuvre des gouvernements pour lutter contre la crise est donc plus réduite qu’avant la crise financière de 2008.
C’est évident pour tout le monde : dans les années et décennies suivantes il y aura des multiples incertitudes ou plutôt des déplacements des plaques tectoniques. Il faut que nous apprenions à vivre avec eux et à gérer ces défis. Il faut que nous nous préparions politiquement, économiquement et surtout mentalement.
Le rôle de la Suisse
Et maintenant, la question plus importante : où est la Suisse face à cette lutte des grandes puissances et face à ces problèmes transnationaux ?
Moi personnellement je suis très optimiste pour la Suisse. Pourquoi ?
La Suisse a prouvé souvent dans son histoire que nous en sommes capables de résoudre des grands défis. Jusqu’au milieu du 19e siècle, la Suisse était un pays d’émigration pauvre, sans tourisme, sans infrastructures nationales et avec une économie agricole faible. Mais comment la Suisse a-t-elle connu un tel succès ?
C’est à cause de plusieurs facteurs, entre autres :
- la démocratie directe,
- Le fédéralisme,
- le système de milice,
- Neutralité,
- Créativité de la population
- Bonne infrastructure,
- Bon lieu pour la recherche, la production et le service
- Innovation
- Grappes économiques,
- des PME (petits et moyennes entreprises) et des multinationales fortes.
La Suisse n’est pas du tout un “petit” Etat. Outre sa taille géographique, la Suisse est un leader dans de nombreux secteurs. Nous sommes probablement l’un des vingtièmes pays les plus puissants du monde. Notre économie est forte aujourd’hui parce qu’elle a su s’adapter avec le temps aux nouvelles conditions. Elle subit des changements structurels permanents. Nous devons continuer à permettre de changements – même si c’est parfois difficile et exige beaucoup de travail.
Finalement le succès, c’est 90 % de transpiration – et 10 % d’inspiration.
Mais bien sûr il y a des défis :
- C’est plutôt difficile d’expliquer notre système aux grands pouvoirs, mais on peut essayer comme Alain Berset selon Chapatte.
- Le protectionnisme et le différend commercial sont un défi pour un pays exportateur comme la Suisse.
- Les relations avec l’Union Européenne
- La démographie : l’espérance de vie continue d’augmenter. Une fille sur quatre née aujourd’hui pourrait vivre jusqu’à ans. C’est une bonne nouvelle mais c’est un défi pour notre régime de pension.
- Il y a un blocage des réformes par exemple dans les domaines de la sécurité sociale et dans le système de la santé.
- Au même temps il y a une inflation de la réglementation.
Ces facteurs ont un effet préjudiciable pour l’attractivité de la Suisse dans un contexte international. Dans le rapport « ease of doing business ranking » de la Banque Mondiale nous prenons la 38ème place. Dans les dernières années la Suisse a constamment perdu du terrain dans l’attractivité pour des entreprises. Entre les raisons :
- La Suisse n’a pas assez de travailleurs hautement qualifiés dans les domaines de la mathématique, informatique, sciences naturelles et la technique. Pour les entreprises c’est difficile d’apporter en Suisse des travailleurs hautement qualifiés qui viennent de l’extérieur d’Europe.
- En domaines des points fortes traditionnelles de la Suisse comme la fiabilité fiscal et réglementaire on est sur le déclin.
- L’économie suisse dépend de la sécurité juridique, mais il existe actuellement de grandes incertitudes dans ce domaine.
Comment résoudre ces problèmes ?
- On a besoin des conditions de cadres claires pour augmenter la sécurité de planification pour les entreprises et pour cela on a besoin du courage dans la politique. C’est pourquoi on a besoin d’un accord-cadre avec L’Union Européenne. L’isolement n’est pas une stratégie durable pour notre pays et notre prospérité.
- Dans le domaine des startups, quelques pourcents de l’actif de nos caisses de retraite doivent finalement être investi dans du capital de risque et des startups plutôt que dans des immobiles.
- Il faut réviser le régime d’immigration pour les travailleurs hautement qualifiés et développer les capacités des universités suisses dans les domaines recherchés.
- Clarifier la position de la Suisse dans le contexte réglementaire, économique et fiscal international.
- Il faut intensifier le marketing de la marque suisse surtout pour cibler les secteurs à fort potentiel et créateurs de valeur tels que la biotechnologie, l’intelligence artificielle ou la robotique.
Comme l’histoire nous a montré nous – les Suisses – pouvons être confiants et optimistes quant à l’avenir et face aux défis mentionnés. Mais la confiance en soi n’est pas nécessairement une vertu nationale suisse.
Comme l’écrivain suisse et lauréat Nobel de littérature, Carl Spitteler, a dit :
« Si les Suisses avaient construit les Alpes eux-mêmes, elles ne seraient pas si hautes, elles seraient plus modestes. »
Nous devons être fiers de nos belles et hautes montagnes et transmettre ce sentiment dans le monde.
Merci beaucoup!